Déclaration

Si vous êtes ici, c’est sans doute que, comme nous, vous considérez qu’il est inadmissible que certains chroniqueurs et journalistes d’opinion véhiculent des propos haineux ou usent de tactiques d’intimidation médiatique en toute impunité.

Pour mieux comprendre comment porter plainte auprès des institutions de réglementation des médias voici un état des lieux sur les mesures mises en place au Québec et au Canada.

Radio et télévision

Le Règlement sur la distribution de radiodiffusion, inscrit dans la loi canadienne, mentionne que les diffuseurs n’ont pas le droit de faire la promotion de contenu :

  1. contraire à la loi
  2. contenant des propos offensants qui, pris dans leur contexte, risquent d’exposer une personne, un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe ou l’orientation
  3. contenant un langage obscène ou blasphématoire
  4. contenant une nouvelle fausse ou trompeuse

Les sanctions possibles sont multiples. Elles vont de la diffusion d’excuses publiques en onde à heures de grande écoute à des sanctions plus graves comme le retrait ou le non-renouvellement de la licence d’exploitation de la station. Le moment charnière, c’est la période de renouvellement, où le CRTC peut alors faire un bilan des plaintes reçues et faire un portrait large d’une situation.

Le CRTC, qui relève du fédéral, est l’organisme public indépendant chargé de réglementer la radio et la télé canadienne, MAIS il a délégué le traitement des plaintes à un autre organisme, le CCNR (Conseil canadien des normes de la radiodiffusion). Oui, c’est compliqué, et ce n’est pas fini : le CCNR est un organisme d’autoréglementation créé et géré par les propriétaires des stations eux-mêmes.

Les stations privées sont ainsi placées dans une étrange position de juge et partie… Pas étonnant que les plaintes soient fréquemment rejetées et rarement transmises au CRTC.

C’est pourquoi il est important de multiplier les formes de dénonciation et non seulement de porter plainte au CCNR, mais également au Conseil de presse (voir plus bas), en plus de publier et faire connaître votre plainte et ses suites sur vos réseaux.

Vérifier si la station est membre du CCNR. Dans l’affirmative, déposez une plainte. Vous avez peu de temps, 28 jours à partir du moment de la diffusion, pour faire la plainte.

Vous pouvez également écrire au ministre du Patrimoine canadien, responsable du CRTC, pour lui faire part de vos critiques quant à la gestion des plaintes par le CCNR et la relative impunité de certains agissements.

Si les propos sont entendus à Radio-Canada, la société d’État a son propre ombudsman qui traite les plaintes.

Vous pouvez aussi porter plainte au Conseil de presse du Québec pour des propos entendus à la radio ou à la télé (voir plus bas).

Déclaration

Presse écrite

Le Conseil de presse du Québec est un tribunal d’honneur, c’est-à-dire qu’il a une autorité morale, mais aucun pouvoir coercitif.

Le code de déontologie du Conseil de presse du Québec ne répond pas aux plaintes pour diffamation, mais il répond bien aux plaintes pour :

  • information incomplète
  • information inexacte
  • manque d’équilibre
  • manque de respect
  • insulte
  • partialité

Tous les journalistes d’opinion sont assujettis à la déontologie du Conseil de presse, mais plusieurs médias refusent d’être membres et de collaborer avec celui-ci. C’est notamment le cas de Radio X et des médias de Québecor comme le Journal de Montréal, le Journal de Québec ou TVA.

L’effet principal d’un blâme porté par le Conseil de presse à la suite d’une plainte est la publication de ce blâme par le média ayant toléré la faute.

Vous avez 3 mois à partir du moment de la diffusion pour porter plainte.

Déclaration

LA DIFFAMATION

Une victime de propos haineux peut également décider d’intenter un recours en diffamation devant la Cour du Québec ou la Cour supérieure du Québec. La Cour suprême du Canada définit la diffamation comme « la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables ». Ce qui est pris en compte, ce n’est pas l’effet que les propos ont eu sur la personne, mais bien l’impact sur sa réputation.

Pour qu’il y ait une faute, il faut que l’auteur des propos, « sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public » ou encore lorsque la volonté de nuire est absente, mais que l’auteur des propos a malgré tout « porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie ».

Un conseil en or : TÉLÉCHARGEZ TOUTES VOS PREUVES À MESURE! Certains médias n’hésitent pas à faire disparaître de leur site web les publications plus à risque de poursuites.

La diffamation peut être faite par trois types de victimes : une personne, une collectivité (les immigrant.es, les étudiant.es, les aîné.es, etc.) ou une personne morale (une entreprise ou un organisme).

Il faut cependant que la victime puisse faire la preuve du tort subi, comme la perte d’un emploi ou des conséquences sur sa santé mentale. C’est la preuve de ce préjudice qui complique cette démarche, surtout lorsque c’est toute une communauté qui est attaquée.

Lorsque c’est un groupe de personnes qui souhaite faire valoir ses droits, il doit généralement entreprendre une action collective en diffamation. Or, les tribunaux considèrent qu’on ne peut pas porter atteinte à la réputation d’un groupe : chaque individu doit donc prouver que sa réputation personnelle a été affectée. Cela rend la preuve très difficile à faire et laisse malheureusement le champ assez libre aux attaques à la réputation contre une collectivité, ce que certains chroniqueurs ont bien compris dans les dernières années.

Généralement, la personne a un délai maximum d’un (1) an à compter de la connaissance des propos diffamatoires pour intenter une action en justice. Cependant, dans le cas de publications dans un journal écrit, le délai est de 3 mois à partir de la connaissance des propos diffamatoires, ce qui est très court. Les propos publiés sur les médias sociaux et les sites d’information en continu sont assujettis au délai d’un an. Cette poursuite permet de réclamer des dommages et intérêts (une compensation financière). Les montants accordés pour la réparation de l’atteinte à la réputation d’une personne morale (entreprise ou organisme) varient entre 10 000 $ et 25 000 $, alors que ceux des personnes physiques peuvent aller bien au-delà.

 

Exemples de recours

·  Sophie Chiasson, une présentatrice de météo, a poursuivi le commentateur Jean-François Fillion en diffamation après qu’il eut tenu, en ondes, des propos désobligeants sur son physique et sa vie privée. Le tribunal a donné raison à Chiasson et Fillion a été condamné à payer d’importantes sommes monétaires en guise de réparation.

·   L’avocat Me Guy Bertrand a poursuivi l’animateur Gilles Proulx en diffamation parce que ce dernier l’avait traité de « menteur, fanatique, hystérique, manipulateur, Méphisto et malade mental » en plus d’affirmer qu’il ne devrait pas être laissé en liberté. Proulx a été condamné à payer des dommages-intérêts compensatoires et punitifs.

-Dans l’affaire Bou Malhab contre Diffusion Métromédia, M. Arthur a tenu des propos racistes et diffamatoires concernant les chauffeurs de taxi arabes et haïtiens de Montréal. D’après le résumé de ses propos fourni par la Cour suprême, « l’animateur radio tenait les chauffeurs de taxi arabes et haïtiens responsables de la tiers-mondisation du transport public à Montréal et les accusait de corruption, d’incompétence et de malpropreté dans les taxis. Il a affirmé que les chauffeurs arabes et haïtiens ne connaissaient pas les rues de la ville et qu’ils étaient incapables de communiquer en anglais ou en français ». Le 17 février 2011, la Cour suprême a déclaré que ces « propos empreints de mépris et de racisme » tenus par André Arthur ne sont pas individuellement diffamatoires, ne causant pas de préjudice individualisé à chacun des 1 100 chauffeurs de taxi, étant donné que leur réputation individuelle est demeurée intacte aux yeux des citoyens. M. Arthur a été acquitté.

 

DISCRIMINATION

Une victime de propos haineux peut avoir d’autres recours si les propos sont non seulement haineux, mais aussi discriminatoires. Les propos discriminatoires sont ceux qui traitent une personne différemment en raison de ses caractéristiques personnelles, comme l’origine ethnique, le sexe, l’identité ou l’expresion de genre, ou le handicap.

Dans les cas de discrimination, la victime de propos haineux dans les médias a deux possibilités.

La première, c’est d’intenter un recours par soi-même, au civil, pour demander de l’argent en compensation du tort subi. Il faut alors consulter un avocat. Il est possible de combiner les recours en diffamation et pour discrimination.

La seconde, c’est de s’adresser à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). La Commission peut agir lorsqu’il y a discrimination portant sur l’un des motifs énumérés par l’article 10 de la Charte québécoise menant à une atteinte au droit à l’égalité du plaignant ou de la plaignante (comme l’origine ethnique, le sexe, l’identité ou l’expresion de genre, ou le handicap).

Le processus va comme suit : la personne a un délai maximum de 3 ans après les faits pour porter plainte à la Commission. Suite au dépôt d’une plainte, la CDPDJ fait enquête afin de déterminer si elle considère qu’il y a effectivement eu atteinte à l’une des caractéristiques protégées par l’article 10 de la Charte. Si celle-ci considère qu’il y a eu atteinte, elle offre aux parties d’aller en médiation. Si l’une d’entre elles refuse et que la Commission considère que la preuve du dossier est suffisante, elle pourra saisir le Tribunal des droits de la personne au nom du plaignant ou de la plaignante contre l’auteur des propos. Si elle décide de saisir le TDP, elle représentera le.la plaignant.e tout au long des procédures judiciaires avec ses propres avocats, et ce, gratuitement, ce qui est assez exceptionnel.

Toutefois, même si la CDPDJ considère que la preuve est suffisante, elle n’a pas l’obligation de représenter le ou la plaignante devant le TDP. Le cas échéant, elle doit l’avertir pour que la personne décide si elle saisit personnellement le TDP. Si tel est le cas, elle doit le faire dans les 90 jours suivant la communication du refus.

Le dépôt d’une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse peut donc s’avérer être un recours très intéressant pour un individu ayant subi un traitement discriminatoire, car à partir du moment où la CDPDJ accepte de prendre le dossier en charge, le plaignant ou la plaignante n’a pratiquement aucune obligation tout au long du processus judiciaire. Aussi, il est possible d’obtenir d’importants montants d’argent en guise de réparation.

Attention toutefois : le Tribunal des droits de la personne est compétent uniquement en matière de droit à l’égalité; il ne peut donc pas entendre des dossiers portant uniquement sur une atteinte à la réputation qui ne porte pas sur un des motifs de l’article 10 de la Charte.

Pour porter plainte : https://www.cdpdj.qc.ca/fr/droits-de-la-personne/defendre-vos-droits/Pages/porter-plainte.aspx

 

Exemples de recours en discrimination

  • Jérémy Gabriel a utilisé ce recours alors qu’il considérait qu’il avait été discriminé sur la base de son handicap par l’humoriste Mike Ward. Cette cause est présentement débattue en Cour suprême.

  • Des employés ayant été victimes de propos racistes par le dirigeant d’une entreprise relativement au manque d’hygiène de certains lieux de travail ont été représentés par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse devant le TDP.

Le TDP a donné raison, le dirigeant de l’entreprise a été condamné à payer 150 000$ en guise de réparation (décision confirmée par la Cour d’appel du Québec).

Si, à la lecture de ces informations, vous croyez avoir été victime de diffamation, n’hésitez pas à nous contacter pour nous partager votre témoignage.

“Et si l’erreur était de considérer l’information comme un produit de consommation”

– Mickaël Bergeron¹ –

Déclaration

En ce moment, les médias d’information connaissent une crise économique sans précédent, et produire de l’information de qualité : ça coûte cher. Il faut des ressources humaines formées et compétentes, ainsi que du temps pour faire des recherches rigoureuses et approfondir les sujets traités.

Il est de fait, beaucoup plus simple, rapide et surtout rentable de faire de l’opinion.

 

“Les médias d’information traditionnels ont dû couper partout où ils le pouvaient. Ils ont trouvé des stratégies pour conserver ou augmenter leur public au moindre coût possible : moins d’enquêtes, moins de reportages, moins de recherche fouillée, moins de vérification, moins de collecte d’information de première main, mais plus de commentariat-vedette, plus d’analystes et de chroniqueurs de tout acabit qui, des plus vertueux aux plus manipulateurs, discutent de l’actualité en n’exigeant pour tout investissement que leur cachet et en se basant sur des faits récoltés de façon de plus en plus expéditive.”²

Catherine Dorion

 

Comment agir, donc, face à cette nouvelle réalité économique des médias? La réponse est politique. Le financement public des médias deviendra une nécessité, mais ce financement devra venir avec des contraintes : un respect rigoureux de la déontologie journalistique.

Malheureusement, tant et aussi longtemps qu’il y aura de l’argent à faire avec la haine, que des sanctions ne seront pas mises en application et que collectivement nous ne prendrons pas action, le journalisme sérieux et rigoureux s’en trouvera affecté, le climat social aussi. Si nous ne nous en mêlons pas comme société, si nous ne prenons pas la responsabilité citoyenne de faire émerger cet important enjeu politique, ces aspects importants de notre vie sociale risquent fort d’être oubliés.

 

1 BERGERON, Mickaël, (2020), Tombée médiatique, Montréal, Somme Toute

2 Québec Solidaire, Catherine Dorion, 2020, quebecsolidaire.net/nouvelle/mandat-dinitiative-sur-lavenir-des-medias-lannexe-dorion (consulté le 15 décembre 2020)